BAUDELAIRE RENCONTRE SLEWINSKI

Wladyslaw Slewinski, Femme peignant ses cheveux, 1897, huile sur toile, National Museum, Cracovie, Pologne

Longtemps ! toujours ! ma main dans ta crinière lourde
Sèmera le rubis, la perle et le saphir,
Afin qu’à mon désir tu ne sois jamais sourde !


For a long time! For ever! Amongst your heavy mane 
My hand will strew the ruby, pearl and sapphire 
To make you never deaf to my desire!

Charles Baudelaire, « La Chevelure » dans Les Fleurs du Mal, 1857

Ô toison, moutonnant jusque sur l’encolure !
Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir !
Extase ! Pour peupler ce soir l’alcôve obscure
Des souvenirs dormant dans cette chevelure,
Je la veux agiter dans l’air comme un mouchoir !

La langoureuse Asie et la brûlante Afrique,
Tout un monde lointain, absent, presque défunt,
Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique !
Comme d’autres esprits voguent sur la musique,
Le mien, ô mon amour ! Nage sur ton parfum.

J’irai là-bas où l’arbre et l’homme, pleins de sève,
Se pâment longuement sous l’ardeur des climats ;
Fortes tresses, soyez la houle qui m’enlève !
Tu contiens, mer d’ébène, un éblouissant rêve
De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts :

Un port retentissant où mon âme peut boire
A grands flots le parfum, le son et la couleur ;
Où les vaisseaux, glissant dans l’or et dans la moire,
Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire
D’un ciel pur où frémit l’éternelle chaleur.

Je plongerai ma tête amoureuse d’ivresse
Dans ce noir océan où l’autre est enfermé ;
Et mon esprit subtil que le roulis caresse
Saura vous retrouver, ô féconde paresse,
Infinis bercements du loisir embaumé !

Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues,
Vous me rendez l’azur du ciel immense et rond ;
Sur les bords duvetés de vos mèches tordues
Je m’enivre ardemment des senteurs confondues
De l’huile de coco, du musc et du goudron.

Longtemps ! Toujours ! Ma main dans ta crinière lourde
Sèmera le rubis, la perle et le saphir,
Afin qu’à mon désir tu ne sois jamais sourde !
N’es-tu pas l’oasis où je rêve, et la gourde
Où je hume à longs traits le vin du souvenir ?


O Fleece, foaming to the neck!
O curls! O scent of laziness!
Ecstasy! This evening, to people the dark corners
Of memories that are sleeping in these locks,
I would wave them in the air like a handkerchief!
Languorous Asia and burning Africa,
A whole world, distant, absent, almost extinct,
Lives in the depths of your perfumed jungle;
As other souls sail along on music,
So mine, O my love, swims on your scent.
I shall go over there where trees and men, full of sap,
Faint away slowly in the passionate climate;
O strong locks, be the sea-swell that transports me!
You keep, O sea of ebony, a dazzling dream
Of sails and sailormen, flames and masts:
A resounding haven where in great waves
My soul can drink the scent, the sound and color;
Where ships, sliding in gold and watered silk,
Part their vast arms to embrace the glory
Of the pure sky shuddering with eternal heat
I shall plunge my head, adoring drunkenness,
Into this black ocean where the other is imprisoned;
And my subtle spirit caressed by the sway
Will know how to find you, O pregnant idleness!
In an infinite cradle of scented leisure!
Blue hair, house of taut darkness,
You make the blue of the sky seem huge and round for me;
On the downy edges of your twisted locks
I hungrily get drunk on the muddled fragrances
Of coconut oil, of musk and tar
For a long time! For ever! Amongst your heavy mane
My hand will strew the ruby, pearl and sapphire
To make you never deaf to my desire!
For are you not the oasis where I dream, the gourd
Where in great draughts I gulp the wine of memory?
Traduction Geoffrey Wagner

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