BAUDELAIRE RENCONTRE MAGRITTE

René Magritte, Lunette d’approche, 1963 , huile sur toile, 76 x 115 cm, Menil Collection, Houston

Celui qui regarde au dehors à travers une fenêtre ouverte ne voit jamais autant de choses que celui qui regarde une fenêtre fermée.


A man looking out of an open window never sees as much as the same man looking directly at a closed window.

Charles Baudelaire« Les fenêtres » dans Le Spleen de Paris, 1869 

  Celui qui regarde du dehors à travers une fenêtre ouverte, ne voit jamais autant de choses que celui qui regarde une fenêtre fermée. Il n’est pas d’objet plus profond, plus mystérieux, plus fécond, plus ténébreux, plus éblouissant qu’une fenêtre éclairée d’une chandelle. Ce qu’on peut voir au soleil est toujours moins intéressant que ce qui se passe derrière une vitre. Dans ce trou noir ou lumineux vit la vie, rêve la vie, souffre la vie.
Par delà des vagues de toits, j’aperçois une femme mûre, ridée déjà, pauvre, toujours penchée sur quelque chose, et qui ne sort jamais. Avec son visage, avec son vêtement, avec son geste, avec presque rien, j’ai refait l’histoire de cette femme, ou plutôt sa légende, et quelquefois je me la raconte à moi-même en pleurant.
Si c’eût été un pauvre vieux homme, j’aurais refait la sienne tout aussi aisément.
Et je me couche, fier d’avoir vécu et souffert dans d’autres que moi-même.
Peut-être me direz-vous : « Es-tu sûr que cette légende soit la vraie ? » Qu’importe ce que peut être la réalité placée hors de moi, si elle m’a aidé à vivre, à sentir que je suis et ce que je suis ?


A man looking out of an open window never sees as much as the same man looking directly at a closed window. There is no object more deeply mysterious, no object more pregnant with suggestion, more insidiously sinister, in short more truly dazzling than a window lit up from within by even a single candle. What we can see out in the sunlight is always less interesting than what we can perceive taking place behind a pane of windowglass. In that pit, in that blackness or brightness, life is being lived, life is suffering, life is dreaming….

Above the wave-crests of the rooftops across the way I can see a middle-aged woman, face already wrinkled–a poor woman forever bending over something, who never seems to leave her room. From just her face and her dress, from practically nothing at all, I’ve re-created this woman’s story, or rather her legend; and sometimes I weep while reciting it to myself.

Some poor old man would have sufficed just as well; I could with equal ease have invented a legend for him, too.

And so I go to bed with a certain pride, having lived and suffered for others than myself.

Of course, you may confront me with: « But are you sure your story is really the true and right one? » But what does it really matter what the reality outside myself is, as long as it has helped me to live, to feel that I am alive, to feel the very nature of the creature that I am.

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