ALLEN GINSBERG RENCONTRE JASPER JOHNS

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Jasper Johns, Flag, 1957, huile sur papier, 30.5 x 42.5 cm, MET Museum, New York

I don’t feel good don’t bother me. 
I won’t write my poem till I’m in my right mind. 
America when will you be angelic? 
When will you take off your clothes? 


Je ne me sens pas bien, laisse-moi.
J’écrirai mon poème quand je serai dans un bon état d’esprit.
Amérique, quand deviendras-tu angélique ?
Quand te mettras-tu à nu ?

Allen Ginsberg, « America », 1956

America I’ve given you all and now I’m nothing.
America two dollars and twentyseven cents January 17, 1956.
I can’t stand my own mind.
America when will we end the human war?
Go fuck yourself with your atom bomb.
I don’t feel good don’t bother me. 
I won’t write my poem till I’m in my right mind. 
America when will you be angelic? 
When will you take off your clothes? 
When will you look at yourself through the grave?
When will you be worthy of your million Trotskyites? America why are your libraries full of tears?
America when will you send your eggs to India?
I’m sick of your insane demands.
When can I go into the supermarket and buy what I need with my good looks?
America after all it is you and I who are perfect not the next world.
Your machinery is too much for me.
You made me want to be a saint.
There must be some other way to settle this argument.
Burroughs is in Tangiers I don’t think he’ll come back it’s sinister.
Are you being sinister or is this some form of practical joke?
I’m trying to come to the point.
I refuse to give up my obsession.
America stop pushing I know what I’m doing.
America the plum blossoms are falling.
I haven’t read the newspapers for months, everyday somebody goes on trial for murder.
America I feel sentimental about the Wobblies.
America I used to be a communist when I was a kid I’m not sorry.
I smoke marijuana every chance I get.
I sit in my house for days on end and stare at the roses in the closet.
When I go to Chinatown I get drunk and never get laid.
My mind is made up there’s going to be trouble.
You should have seen me reading Marx.
My psychoanalyst thinks I’m perfectly right.
I won’t say the Lord’s Prayer.
I have mystical visions and cosmic vibrations.
America I still haven’t told you what you did to Uncle Max after he came over from Russia.
I’m addressing you.
Are you going to let your emotional life be run by Time Magazine?
I’m obsessed by Time Magazine.
I read it every week.
Its cover stares at me every time I slink past the corner candystore.
I read it in the basement of the Berkeley Public Library.
It’s always telling me about responsibility. Businessmen are serious. Movie producers are serious. Everybody’s serious but me.
It occurs to me that I am America.
I am talking to myself again.

Asia is rising against me.
I haven’t got a chinaman’s chance.
I’d better consider my national resources.
My national resources consist of two joints of marijuana millions of genitals an unpublishable private literature that jetplanes 1400 miles an hour and twentyfive-thousand mental institutions.
I say nothing about my prisons nor the millions of underprivileged who live in my flowerpots under the light of five hundred suns.
I have abolished the whorehouses of France, Tangiers is the next to go.
My ambition is to be President despite the fact that I’m a Catholic.

America how can I write a holy litany in your silly mood?
I will continue like Henry Ford my strophes are as individual as his automobiles more so they’re all different sexes.
America I will sell you strophes $2500 apiece $500 down on your old strophe
America free Tom Mooney
America save the Spanish Loyalists
America Sacco & Vanzetti must not die
America I am the Scottsboro boys.
America when I was seven momma took me to Communist Cell meetings they sold us garbanzos a handful per ticket a ticket costs a nickel and the speeches were free everybody was angelic and sentimental about the workers it was all so sincere you have no idea what a good thing the party was in 1835 Scott Nearing was a grand old man a real mensch Mother Bloor the Silk-strikers’ Ewig-Weibliche made me cry I once saw the Yiddish orator Israel Amter plain. Everybody must have been a spy.
America you don’t really want to go to war.
America its them bad Russians.
Them Russians them Russians and them Chinamen. And them Russians.
The Russia wants to eat us alive. The Russia’s power mad. She wants to take our cars from out our garages.
Her wants to grab Chicago. Her needs a Red Reader’s Digest. Her wants our auto plants in Siberia. Him big bureaucracy running our fillingstations.
That no good. Ugh. Him make Indians learn read. Him need big black niggers. Hah. Her make us all work sixteen hours a day. Help.
America this is quite serious.
America this is the impression I get from looking in the television set.
America is this correct?
I’d better get right down to the job.
It’s true I don’t want to join the Army or turn lathes in precision parts factories, I’m nearsighted and psychopathic anyway.

America I’m putting my queer shoulder to the wheel.


Amérique, je t’ai tout donné et maintenant je ne suis plus rien.
Amérique, deux dollars et vingt-sept cents, le 17 janvier 1956.
Je ne supporte plus mes pensées.
Amérique, quand mettrons-nous fin à la guerre humaine ?
Ta bombe atomique, tu peux te la mettre dans le cul,
Je ne me sens pas bien, laisse-moi.
J’écrirai mon poème quand je serai dans un bon état d’esprit.
Amérique, quand deviendras-tu angélique ?
Quand te mettras-tu à nu ?
Quand regarderas-tu ta mort en face ?
Quant te montreras-tu à la hauteur de ton million de trotskystes ?
Amérique, pourquoi tes bibliothèques sont-elles pleines de larmes ?

Amérique, quand enverras-tu tes œufs en Inde ?
Tes exigences absurdes me dégoûtent.
Quand pourrai-je enfin entrer dans un supermarché et payer ce dont j’ai besoin avec ma beauté ?
Amérique, après tout c’est toi et moi qui sommes parfaits, pas l’autre monde.
Je suis dépassé par ta machinerie.
À cause de toi, j’ai voulu être un saint.
Il doit y avoir un autre moyen de régler notre désaccord.
Burroughs est à Tanger ; je pense qu’il ne reviendra pas et c’est sinistre.
Est-ce que tu fais exprès d’être sinistre ? Est-ce une sorte de plaisanterie ?
J’essaie d’en venir au fait.
Je refuse de renoncer à mes obsessions.
Amérique, ne me bouscule pas, je sais ce que je fais.
Amérique, les pétales des fleurs de prunier tombent aujourd’hui.
Cela fait des mois que je n’ai pas lu les journaux et tous les jours on juge quelqu’un pour meurtre.
Amérique, j’aime encore les syndicalistes radicaux de l’IWW.
Amérique, j’étais communiste quand j’étais petit et je ne me repens pas.
Je fume de la marijuana dès que j’en ai l’occasion.
Je reste assis chez moi pendant des jours et je regarde des roses séchées.
Quand je vais à Chinatown, je me saoule, mais je ne baise pas.
J’ai pris ma décision ; ça va chauffer.
Vous auriez dû me voir quand je lisais Marx.
Mon psychanalyste pense que je vais très bien.
Je ne dirai pas le Notre-Père.
J’ai des visions mystiques et des vibrations cosmiques.
Amérique, je ne t’ai toujours pas expliqué ce que tu as fait à l’oncle Max, après son retour de Russie.

C’est à toi que je parle.
Est-ce que tu vas laisser Time Magazine régir tes émotions ?
Je suis obsédé par Time Magazine.
Je le lis toutes les semaines.
Sa couverture me suit des yeux chaque fois que je passe devant la boutique au coin de la rue.
Je le lis dans le sous-sol de la bibliothèque publique de Berkeley.
Il me parle toujours de responsabilité. Les hommes d’affaire sont sérieux. Les producteurs de cinéma sont sérieux. Tout le monde est sérieux sauf moi.
Je me rends compte que l’Amérique c’est moi.
Voilà que je me parle encore à moi-même.

L’Asie se lève contre moi.
Je n’ai pas une chance de Chinois.
Je dois surveiller mes ressources nationales.
Mes ressources nationales sont constituées de deux joints, de millions de sexes, d’une littérature intime et impubliable qui va à deux mille kilomètres heure, de
Vingt-cinq mille établissements psychiatriques.
Et je ne dis rien de mes prisons et de mes millions de défavorisés qui habitent dans mes pots de fleurs sous la lumière de cinq cents soleils.
J’ai fermé les maisons closes en France ; celles de Tanger viendront ensuite.
J’ai pour ambition de devenir président, même si je suis catholique.

Amérique, tes états d’âme sont stupides, comment parviendrai-je à écrire ma sainte litanie ?
Je continuerai, comme Henry Ford, mes strophes sont aussi individualisées que ses
automobiles, davantage même, puisqu’elles sont masculines ou féminines.
Amérique, je te vendrai des strophes à 2500 dollars l’unité, 500 dollars de réduction pour les plus anciennes.
Amérique, libère feu le syndicaliste Tom Mooney,
Amérique, sauve les républicains espagnols,
Amérique, Sacco, Vanzetti ne doivent pas mourir.
Amérique, je suis les garçons noirs de Scottsboro emprisonnés pour un viol qu’ils n’avaient pas commis.
Amérique, quand j’avais sept ans maman m’emmenait à ses réunions de cellule du parti communiste ils nous vendaient une poignée de haricots par ticket et le ticket coûtait 5 cents et les discours étaient gratuits tout le monde voyait les ouvriers sous un jour angélique et sentimental vous n’avez pas idée comme c’était bien le parti en 1935 Scott Nearing était un type extraordinaire un véritable mensch la mère Bloor m’a fait pleurer un jour j’ai vu Israel Amter pour de vrai. C’étaient sans doute tous des espions.
Amérique, au fond, tu ne veux pas la guerre.
Amérique, les Russes, ce sont eux les méchants.
Eux les Russes eux les Russes et eux les Chinois. Et aussi eux les Russes.
Russie, elle veut nous dévorer tout crus. Le pouvoir soviétique est fou. Russie veut nous retirer les voitures des garages.
Elle, elle veut s’emparer de Chicago. Elle, elle a besoin d’une version rouge du Reader’s Digest. Elle elle veut installer nos usines de montage de voitures en Sibérie. Elle, sa bureaucratie dirigerait nos stations-service.
Hugh ! Ce n’est pas bon ! Lui , il apprend à lire aux Indiens. Lui, il a besoin de grands nègres noirs.
Ha !
Amérique, l’affaire est sérieuse !
Amérique, c’est l’impression que j’ai quand je regarde la télévision.
Amérique, est-ce que c’est juste ?
Je ferai mieux de m’atteler à la tâche.
Et pourtant, je ne veux ni entrer dans l’armée ni fraiser au tour des pièces de précision dans une usine.
Amérique, je joins ma force à l’effort collectif et je pousse à la roue de mon épaule folle.

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