ARAGON RENCONTRE BONNARD

Pierre Bonnard, Table dressée dans le jardin, 1908, huile sur toile, National Gallery of Art, Washington, DC

Ce n’est qu’un lieu de valse où l’été s’abandonne

Louis Aragon, « Absent de Paris » dans En Français dans le texte, 1943

Souviens-toi la senteur des magnolias blancs
Te parlait le langage amoureux des Tropiques
Dans le chemin de la Photographie-Hippique
Le soir se faisait tendre à la Croix-Catelan

Ce n’est qu’un lieu de valse où l’été s’abandonne
Mais qu’une ombrelle donne à l’ombre ses bras nus
C’est assez d’un soupir ouvert sur l’inconnu
Et la Madone noire un autre chant fredonne

Dans la chaleur tombée avec le jour défunt
Les bouches ont toujours un air de la blessure
Leur morsure a le goût de sang des pommes sures
Un songe de la mort tourne au cœur des partums

Il meurt d’avoir vanté ces parfums qu’il apporte
Celui dont le fantôme erre au fond de la nuit
Et Philippe-le-Bel regarde avec ennui
Arnauld de Catelan tué par son escorte

Comme elle va pleurer Madame de Savoie
Odorant messager qui venait de Provence
J’avais tremblé pour toi comme si par avance
Je savais que jamais je n’entendrais ta voix

On disait qu’elle était si belle et déchirante
Qu’une fois qu’on l’avait par malheur entendue
On en oubliait Dieu le temps et l’étendue
Les reines l’écoutaient aux rois indifférentes

Beaux assassins vous avez fait là du joli
Fallait-il qu’un de vous de lui-même vous vende
Qui lut au bal danser ruisselant de lavande
Et laissa dans son lit l’odeur du néroli

Ignorant aujourd’hui n’était cette croix blanche
Qui saurait maintenant où ce poète gît
Que le roi fut ému que l’herbe fut rougie
Et le doux rossignol mis entre quatre planches

Ce n’est pas qu’un chanteur que Paris oublia
Les drames plus récents l’embaument d’autres essences
Ces morts-là voyez-vous ressemblent aux naissances
Et parfument la nuit d’autres magnolias

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