George Grosz, La grande ville, Métropolis 1917, huile sur toile, Collection privée
Voilà les quais ! voilà les boulevards ! voilà
Sur les maisons, l’azur léger qui s’irradie
Et qu’un soir la rougeur des bombes étoila.
Arthur Rimbaud, « L’Orgie parisienne » ou « Paris se repeuple », 1871
Ô lâches, la voilà ! dégorgez dans les gares !
Le soleil expia de ses poumons ardents
Les boulevards qu’un soir comblèrent les Barbares.
Voilà la Cité belle assise à l’occident !
Allez ! on préviendra les reflux d’incendie,
Voilà les quais ! voilà les boulevards ! voilà
Sur les maisons, l’azur léger qui s’irradie
Et qu’un soir la rougeur des bombes étoila.
Cachez les palais morts dans des niches de planches !
L’ancien jour effaré rafraîchit vos regards.
Voici le troupeau roux des tordeuses de hanches,
Soyez fous, vous serez drôles, étant hagards !
Tas de chiennes en rut mangeant des cataplasmes,
Le cri des maisons d’or vous réclame. Volez !
Mangez ! Voici la nuit de joie aux profonds spasmes
Qui descend dans la rue, ô buveurs désolés,
Buvez ! Quand la lumière arrive intense et folle,
Foulant à vos côtés les luxes ruisselants,
Vous n’allez pas baver, sans geste, sans parole,
Dans vos verres, les yeux perdus aux lointains blancs,
Avalez, pour la Reine aux fesses cascadantes !
Écoutez l’action des stupides hoquets
Déchirants ! Écoutez, sauter aux nuits ardentes
Les idiots râleux, vieillards, pantins, laquais !
Ô cœurs de saleté, Bouches épouvantables,
Fonctionnez plus fort, bouches de puanteurs !
Un vin pour ces torpeurs ignobles, sur ces tables…
Vos ventres sont fondus de hontes, ô Vainqueurs !
Ouvrez votre narine aux superbes nausées !
Trempez de poisons forts les cordes de vos cous !
Sur vos nuques d’enfants baissant ses mains croisées
Le Poète vous dit : ô lâches, soyez fous !
Parce que vous fouillez le ventre de la Femme,
Vous craignez d’elle encore une convulsion
Qui crie, asphyxiant votre nichée infâme
Sur sa poitrine, en une horrible pression.
Syphilitiques, fous, rois, pantins, ventriloques,
Qu’est-ce que ça peut faire à la putain Paris,
Vos âmes et vos corps, vos poisons et vos loques ?
Elle se secouera de vous, hargneux pourris !
Et quand vous serez bas, geignant sur vos entrailles,
Les flancs morts, réclamant votre argent, éperdus,
La rouge courtisane aux seins gros de batailles,
Loin de votre stupeur tordra ses poings ardus !
Quand tes pieds ont dansé si fort dans les colères,
Paris ! quand tu reçus tant de coups de couteau,
Quand tu gis, retenant dans tes prunelles claires
Un peu de la bonté du fauve renouveau,
Ô cité douloureuse, ô cité quasi morte,
La tête et les deux seins jetés vers l’Avenir
Ouvrant sur ta pâleur ses milliards de portes,
Cité que le Passé sombre pourrait bénir :
Corps remagnétisé pour les énormes peines,
Tu rebois donc la vie effroyable ! tu sens
Sourdre le flux des vers livides en tes veines,
Et sur ton clair amour rôder les doigts glaçants !
Et ce n’est pas mauvais. Tes vers, tes vers livides
Ne gêneront pas plus ton souffle de Progrès
Que les Stryx n’éteignaient l’œil des Cariatides
Où des pleurs d’or astral tombaient des bleus degrés.
Quoique ce soit affreux de te revoir couverte
Ainsi ; quoiqu’on n’ait fait jamais d’une cité
Ulcère plus puant à la Nature verte,
Le Poète te dit : « Splendide est ta Beauté ! »
L’orage a sacré ta suprême poésie ;
L’immense remuement des forces te secourt ;
Ton œuvre bout, ta mort gronde, Cité choisie !
Amasse les strideurs au cœur du clairon lourd.
Le Poète prendra le sanglot des Infâmes,
La haine des Forçats, la clameur des maudits :
Et ses rayons d’amour flagelleront les Femmes.
Ses strophes bondiront, voilà ! voilà ! bandits !
— Société, tout est rétabli : les orgies
Pleurent leur ancien râle aux anciens lupanars :
Et les gaz en délire aux murailles rougies
Flambent sinistrement vers les azurs blafards !
O Cowards, we’re here! Platforms of light!
The sun with fiery lungs has cleared, at last,
Boulevards that Barbarians held for a night.
Behold the sacred City, couched in the West!
On! We will prevent the return of fire,
Here are the quays, the boulevards, and here
The houses against an azure radiant sky,
Starred by night when the bombs rose clear!
Hide the dead palaces with planks like ships!
The setting sun, fearful, brightens your faces.
See the red-headed troop, the wrigglers of hips:
Haggard, you’ll seem droll, if you act crazy!
Eating poultices, pack of bitches on heat,
The cry of gilded houses calls to you. Steal!
Eat! Here is the night of joy, its spasms deep,
Descending on the street. O desolates, reel
With drink! When day intense and mindless,
Comes strewing rustling luxuries around you,
Would you dribble, motionless and soundless,
Into your glass, eyes fixed on some white view?
Gulp, for the Queen, her arse that falls in folds!
Listen out, for the work of stupid tearing
Hiccups! Hear them leap in night’s fiery gold:
The old, the useless, lackeys, and fools panting!
O hearts of dirt, O you disgusting mouths,
Work more vigorously, mouths of horror!
Wine, for these ignoble torpors’ drouths…
Your bellies melt with shame, O Conquerors!
To superb nauseas let your nostrils gape!
Steep your neck’s tendons in foulest poison!
Lowering crossed hands on your childish nape
The Poet commands: ‘O cowards, forgo reason!
Because it’s the Woman’s guts you’re rifling,
A further convulsion yet you fear from her,
A cry, asphyxiating your infamous perching
Over her breast, with its dreadful pressure.
Syphilitics, kings, mad puppets, ventriloquists,
What can they matter then to Paris the whore,
Your poisons or your rags, your minds or fists?
She’ll shake them off, those rotten snarling jaws!
And when you’re down, whimpering on your bellies,
Your flanks wrung, clamouring for your supper,
The distraught courtesan, breasts ripe for sallies,
Will clench her hard fists, far from your stupor!’
When your feet danced with such intense anger,
Paris! When you knew so many cuts of the knife,
When you lay there, retaining in your eyes, clear,
Some of the goodness of spring’s tawny life,
O city almost dead, O city of dolour,
Your face and breasts jutting towards the Future,
Opening its thousand gates to your pallor,City whom the sombre Past would honour:
Body re-galvanised to endure vast pains,
You drink dreadful life once more! You feel
A flux of livid worms writhe through your veins,
And icy fingers on your bright love congeal!
No matter. The worms, the worms’ lividity
Can no more obstruct your breath of Progress
Than the Strix quench the eyes of Caryatides,
Blue ledges, where the astral gold tears press.
Though it is frightful to see you so smothered;
Though there was never formed of any city
A fouler ulcer on the green face of Nature,
The Poet still cries: ‘Splendid is your Beauty!’
The tempest made of you supreme poetry;
The immense stir of force quells your sighs;
Your work seethes, death groans, chosen City!
Hoard, in your heart, the fatal trumpet’s cries.
The Poet will garner sobs of the Infamous,
The Galleys’ hatred, the clamour of the Cursed;
And Woman will be scourged by his rays of love.
His verses will leap high: Villains, your worst!
– Society, all is restored: – the orgiasts
In the ancient brothels raise their ancient cries:
And on the reddened walls the frenzied gas
Flares sinisterly towards pale azure skies!
L’aube du tant des fous c’est cité des alignements de la perte pendiculaire…
N-L
08:01:16