
Filipp Malyavin, Tourbillon, 1906, huile sur toile, 210×125 cm, Tretyakov Gallery, Moscow
Il ne faut pas peindre la vie telle qu’elle est, ou telle qu’elle devrait être, mais telle qu’elle nous apparaît dans nos rêves.
We should show life neither as it is, nor as it should be, but as we see it in our dreams.
Anton Tchekov, La Mouette, 1896
TREPLEV – Nous sommes seuls.
NINA – Il me semble qu’il y a quelqu’un… là-bas…
TREPLEV – Non, personne.
NINA – Quel est cet arbre ?
TREPLEV – C’est un orme.
NINA – Pourquoi est-il si noir ?
TREPLEV – La nuit tombe ; toutes les choses paraissent sombres. Ne partez pas trop tôt, je vous en supplie.
NINA – C’est impossible.
TREPLEV – Et si j’allais chez vous, Nina ? Je resterais toute la nuit dans le jardin, face à votre fenêtre.
NINA – Impossible, le veilleur de nuit vous remarquerait, et le chien n’est pas encore habitué à vous, il aboierait.
TREPLEV – Je vous aime.
NINA – Chut…
TREPLEV, entendant des pas. – Qui est là ? C’est vous, Yamov ? Un baiser.
YAKOV, derrière l’estrade. – Oui, monsieur.
TREPLEV – Allez tous à vos places. Il est temps de com-
mencer. La lune se lève.
YAKOV – Oui, monsieur.
TREPLEV – Vous avez de l’alcool ? Du soufre ? Quand les yeux rouges apparaîtront, il faut que ça sente le soufre. (À Ni- na 🙂 Allez-y, tout est prêt. Vous avez le trac ?
NINA – Oui, un trac terrible. Pas à cause de votre maman, je ne la crains pas, mais il y a Trigorine… J’ai peur et j’ai honte de jouer devant lui… C’est un écrivain célèbre… Est-il jeune ?
TREPLEV – Oui.
NINA – Que ses récits sont merveilleux !
TREPLEV, froidement. – Je n’en sais rien, je ne les ai pas lus.
NINA – Il est difficile de jouer dans votre pièce. Il n’y a pas de personnages vivants.
TREPLEV – Des personnages vivants ! Il ne faut pas peindre la vie telle qu’elle est, ou telle qu’elle devrait être, mais telle qu’elle nous apparaît dans nos rêves.
NINA – Votre pièce manque d’action ; on ne fait que réciter. Et puis, à mon avis, il faut absolument de l’amour dans une pièce.