Jean-Michel Basquiat, Untitled (Fallen Angel), 1981, acrylique et huile en stick sur toile, 167,6 x 198,1 cm, Collection privée
Un Ange, imprudent voyageur
Qu’a tenté l’amour du difforme,
Au fond d’un cauchemar énorme
Se débattant comme un nageurAn Angel, imprudent voyager
Tempted by love of the deformed,
In the depths of a vast nightmare
Flailing his arms like a swimmer
Charles Baudelaire, « L’irrémédiable » dans Les Fleurs du Mal, 1857
I
Une Idée, une Forme, un Être
Parti de l’azur et tombé
Dans un Styx bourbeux et plombé
Où nul oeil du Ciel ne pénètre ;
Un Ange, imprudent voyageur
Qu’a tenté l’amour du difforme,
Au fond d’un cauchemar énorme
Se débattant comme un nageur,
Et luttant, angoisses funèbres !
Contre un gigantesque remous
Qui va chantant comme les fous
Et pirouettant dans les ténèbres ;
Un malheureux ensorcelé
Dans ses tâtonnements futiles,
Pour fuir d’un lieu plein de reptiles,
Cherchant la lumière et la clé ;
Un damné descendant sans lampe,
Au bord d’un gouffre dont l’odeur
Trahit l’humide profondeur,
D’éternels escaliers sans rampe,
Où veillent des monstres visqueux
Dont les larges yeux de phosphore
Font une nuit plus noire encore
Et ne rendent visibles qu’eux ;
Un navire pris dans le pôle,
Comme en un piège de cristal,
Cherchant par quel détroit fatal
Il est tombé dans cette geôle ;
– Emblèmes nets, tableau parfait
D’une fortune irrémédiable,
Qui donne à penser que le Diable
Fait toujours bien tout ce qu’il fait !
II
Tête-à-tête sombre et limpide
Qu’un coeur devenu son miroir !
Puits de Vérité, clair et noir,
Où tremble une étoile livide,
Un phare ironique, infernal,
Flambeau des grâces sataniques,
Soulagement et gloire uniques
– La conscience dans le Mal !
I
An Idea, a Form, a Being
Which left the azure sky and fell
Into a leaden, miry Styx
That no eye in Heaven can pierce;
An Angel, imprudent voyager
Tempted by love of the deformed,
In the depths of a vast nightmare
Flailing his arms like a swimmer,
And struggling, mortal agony!
Against a gigantic whirlpool
That sings constantly like madmen
And pirouettes in the darkness;
An unfortunate, enchanted,
Outstretched hands groping futilely,
Looking for the light and the key,
To flee a place filled with reptiles;
A damned soul descending endless stairs
Without banisters, without light,
On the edge of a gulf of which
The odor reveals the humid depth,
Where slimy monsters are watching,
Whose eyes, wide and phosphorescent,
Make the darkness darker still
And make visible naught but themselves;
A ship caught in the polar sea
As though in a snare of crystal,
Seeking the fatal strait through which
It came into that prison;
— Patent symbols, perfect picture
Of an irremediable fate
Which makes one think that the Devil
Always does well whatever he does!
II
Somber and limpid tête-à-tête —
A heart become its own mirror!
Well of Truth, clear and black,
Where a pale star flickers,
A hellish, ironic beacon,
Torch of satanical blessings,
Sole glory and only solace
— The consciousness of doing evil.
— Traduction William Aggeler